Schuh Bertl – le dernier bottier de Munich

 

 

 

Visite de l’atelier d’un cordonnier-bottier dans le Gärtnerplatzviertel, l’atelier Bertl,

Kohlstraße 3, avec l’ADFM, Samedi 30 Novembre 2013.

Nous sommes d’abord reçus dans le minuscule magasin par Monsieur Bertl Kreca, 1 m 85 , 110 kilos, un solide gaillard de 52 ans. Nous allons tout de suite apprendre que ce métier artisanal, très manuel, demande beaucoup de forces dans les mains. Katrin, une petite personne très menue, s’occupe de tout le côté commercial de l’entreprise. Et du travail, il y en a : 17.000 clients à travers le monde entier, 4000 paires de chaussures par an ! L’atelier Bertl est le dernier fabriquant de vrais « Haferlschuhe » (Haferl = Topf, grande tasse haute) qui subsiste en Allemagne. En effet, l’artisanat de haute qualité est en train de disparaître. L’artisanat tout court aussi : il y a une trentaine d’années, il y avait encore un grand nombre de cordonniers dans ce Gärtnerplatzviertel. Tous disparus. Les chaussures d’aujourd’hui ont des semelles collées et ne valent plus la peine d’être réparées.

Que fabrique-t-on ici ? Des Haferlschuhe, pour hommes et pour dames, mais aussi des valises en cuir, des sacs à main, des ceintures, tous ces articles exécutés dans des cuirs de grande qualité, et entièrement cousus à la main. Les quelques Lederhosen exposés ne sont pas fabriqués ici mais en Autriche et brodés par les quelques rares « dames » qui sachent encore faire ce travail (dont une vieille dame de 80 ans qui travaille pour Monsieur Bertl). Pour les détails techniques, Monsieur Bertl nous renvoie aux livres qu’il a publiés sur ce métier qu’il exerce depuis plus de 25 ans et dont il dit « Ich habe das Glück, mein Hobby zum Beruf zu haben ». Son 3e livre doit paraître en Janvier 2014. Il possède une très riche bibliothèque spécialisée, dont il est très fier et que nous verrons à la fin de la visite : une collection de 1800 ouvrages concernant tous l’artisanat de la chaussure et dont les plus anciens remontent au XVe siècle. L’encyclopédie de Diderot en fait bien sûr partie. Ces livres sont aussi bien en allemand qu’en anglais et en français, mais aucun en italien. Monsieur Bertl considère que les italiens sont incontestablement doués pour le design mais pas pour la technique et que les meilleurs artisans bottiers sont en fait les autrichiens.

 

Les Haferlschuhe sont nés dans l’Allgäu, au début du XIXe siècle. Leur nom vient d’une déformation de Ha(l)f Schuhe, demi chaussure, c’est-à-dire chaussure basse par opposition à une chaussure montante. Ils sont généralement caractérisés par une ouverture le plus souvent latérale (mais pas obligatoirement) pour les lacets et par un bout de pied arrondi et très épais qui rend la chaussure confortable. Ils se distinguent en outre par un assemblage très soigné de la semelle à l’empeigne par une  double couture. Ils sont zwiegenäht. De nos jours, 99% des chaussures à double couture sont fabriquées ici, dans le sud de l’Allemagne. Ce qui caractérise les chaussures Bertl, c’est en premier lieu la qualité des cuirs, choisis par le maître lui-même, en fonction du respect des procédés de tannerie traditionnels malheureusement en train de disparaître (la tannerie d’Annonay en France ne survit que grâce à des subventions de l’État), et en fonction de la qualité des animaux dont le cuir doit être épais. Mais c’est avant tout, comme va nous l’expliquer le maître qui crée ses propres modèles, qu’il s’agit d’un véritable artisanat. Chaque paire de chaussure est fabriquée de A à Z par la main du même artisan. Ici pas de chaussures collées. Chaque chaussure est cousue, que ce soit à la machine ou entièrement à la main. Monsieur Bertl est fier de dire que ses chaussures, par exemple des chaussures de montagne, car il ne produit pas que des Haferlschuhe, résistent une quinzaine d’années. Une telle paire de chaussures, lorsque les coutures sont exécutées à la machine, coûte entre 250 et 300 €. En revanche, pour des chaussures faites sur mesure et entièrement cousues à la main, il faut compter dépenser au moins 2000 €, sans limite de prix vers le haut, en fonction des désirs particuliers des clients. Il s’agit là de « Haute couture », ce qui, comme chacun le sait, n’a pas de prix. Le délai d’attente pour de telles commandes est d’un an, un an et demi. Une chaussure de femme, de forme bavaroise traditionnelle, noire, avec un boutonnage latéral, circule de main en main, provoquant des cris d’admiration (et d’envie !) devant le raffinement des finitions, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de la chaussure, la beauté, le brillant et la douceur du cuir, la perfection des coutures invisibles !

Le cuir utilisé n’est pas obligatoirement de vache ou de veau : nous avons ainsi pu admirer des chaussures pour homme en cuir d’éléphant, une autre paire en peau de serpent, et, encore plus raffiné, pour dame cette fois, en peau de raie,  autrement dit en galuchat. Nous remarquons encore une paire de chaussures en fourrure : celle-ci provient de France.

 

Après avoir traversé une cour, nous passons ensuite à la visite de l’atelier, presque aussi étroit que le magasin et tout aussi encombré de toutes sortes d’objets, d’outils et de machines. Quelques rares machines à coudre le cuir, très anciennes, et dont nous apprenons que les entretenir et leur trouver des pièces de rechange, comme des aiguilles, commence à poser problème. Le plafond est entièrement « décoré » d’embauchoirs en bois de hêtre ou en plastique. Chaque paire de chaussures fabriquée ici a sa paire d’embauchoirs.

Ce qui caractérise les chaussures Bertl, outre la création de modèles originaux, ce sont les coutures entièrement faites à la main, et les coutures doubles qui bordent les semelles. Les coutures imperméables à l’eau (par exemple pour les chaussures de montagne) demandent une technique particulière avec un fil de nylon, plus gros que le trou par lequel on l’oblige à passer grâce à une aiguille courbe, une alène. Démonstration du maître qui nous explique également à partir d’un botillon ancien, sans aucune couture, comment celui-ci a été obtenu à partir d’une seule pièce de cuir (l’extrémité inférieure d’une jambe de vache). Une technique qui a disparu. Il nous montre aussi comment il procède lui pour obtenir une chaussure basse sans aucune couture au talon, avec une pièce de cuir unique, humidifiée, qui va être moulée sur l’embauchoir, à la force des doigts, jusqu’à ce qu’aucun pli ne soit plus visible. Un travail qui demande la force d’une main d’homme.

Puis Monsieur Bertl nous fait découvrir, dans un carton rangé sur une étagère, les mocassins rouges, en cuir de chevreau, du Pape Benoît XVI, mocassins qu’il a eu l’honneur de lui remettre en mains propres, en audience privée. De ce travail tout en délicatesse et raffinements pour un pied normal, nous passons à la chaussure d’un géant. En 2012 le maître a eu l’honneur de chausser le plus grand homme du monde, un turc mesurant 2 m 52. La chaussure, tout aussi parfaite dans ses finitions que celle du Pape, est effectivement d’une taille impressionnante : 44, 5 cm de longueur, ce qui correspond à une taille 65. Qui dit mieux ?

Monsieur Bertl nous fait aussi remarquer le raffinement avec lequel les Lederhosen fabriqués pour lui en Autriche sont exécutés et brodés, en particulier un exemplaire en cuir bleu à boutons blancs taillés dans de l’ivoire. Dans une caisse nous découvrons des morceaux d’ivoire d’éléphant. Il s’agit d’ivoire ancien, parfaitement répertorié auprès des douanes, et qui sert à faire des chausse-pieds qui resteront blancs ou bien seront teintés avec du brou de noix, jusqu’au noir profond.

 

Monsieur Bertl étant intarissable sur ce métier-passion, il est impossible de faire un compte rendu exhaustif de cette passionante visite. Ce qui domine les propos du maître, c’est malheureusement un grand pessimisme quant à l’avenir de cet artisanat en voie d’extinction, du moins dans cette qualité qui tend à la perfection. Comment recruter des apprentis mûs par cette même passion de la perfection qui l’anime ? Incarnant la tradition de son métier jusque dans ses vêtements et sa façon de s’adresser aux « gnädige Frauen », il est porté par une philosophie qui va courageusement à l’encontre du consumérisme actuel, mais avec un succès, il faut bien le reconnaître, réservé à une élite. Peut-on encore lutter contre la mondialisation ? On peut déjà trouver des Lederhosen faits au Bangladesh, des Haferlschuhe made in China et bientôt au Japon…

Pour conclure nous dirons que nous avons tous, non seulement beaucoup appris, mais aussi été très impressionnés par la forte personnalité de Monsieur Bertl, un maître-artisan mondialement connu car expert en médiatique. Une visite du magasin et de l’atelier « Schuh Bertl » est à nos yeux un « incontournable » lorsque l’on a la chance de vivre à Munich !

Françoise Neu, 11 Décembre 2013

Nous remercions notre guide, Kathrin Liakov, ainsi que Boris Madeleine pour leur travail de relecture.

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